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Cuisine entre 4 murs
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6 octobre 2007

Onanisme

Il me l’a glissé sous le bras au retour de promenade : “Tiens, c’est leur dernier catalogue! Tu regarderas ça en cellule...” Avec le même ton et la même lueur dans l’œil qu’on avait autrefois au sortir de la messe, pour dire :  “On se voit demain, chez l’Angèle, paraît qu’y a une nouvelle...”
montrer parfois apéritive, qui suffit à nous contenir, mais à qui la nuit on retire sa confiance, comme à une starlette que son protecteur raccompagne le soir, morigène, borde en sa couche, et se retire en fermant l’huis à double tour,  le poids de la clef en poche comme un plomb à ces cuisses qu’il subodore légères, - après donc que le rituel accompli me garantît une quiétude tombale, je préparai mes onanistes agapes.
D’abord, il me fallait disposer devant moi les instruments, accessoires, olisbos enfin, nécessaires à la construction de l’entour mécanique qui me permettrait d’atteindre au sublime dans l’illusion de la pensée et dans la réalité de mes sens exacerbés. Ce qu’incontinent je fis, à gestes précis et sûrs, pas fébrile le moindre, mais comme transporté.  Je me sentais détaché de toute maladresse, libéré des tâtillons à-peu-près. J’étais, dans ce ballet, la précision géométrique elle-même, incarnée,
Ma main ne tremblait point, et c’est sans coup-férir
Qu’habile elle ordonnait les objets du plaisir.
Pourtant ma fièvre croissait. La sueur mouillait mes tempes, d’airain semblait chargé le sang qui roidissait mes membres. Ayant poussé aussi loin que possible les délices de l’attente, je n’aspirais plus maintenant qu’à une libération anéantissante.
D’une main je pris l’opuscule illustré, le feuilletai, m’attardant sur le détail d’une photo, sur un reflet nacré, sur la touche de mystère d’une ombre. Les images, incroyablement nettes, sautaient à ma rétine affolée. Le papier glacé brillait, respirait presque. Mon autre main ne restait pas inactive : un mouvement d’aller-et-retour presque mécanique l’animait. Ce mouvement était si naturel qu’il paraissait indépendant de toute volonté, laissant toutes mes facultés orientées vers la vue, et presque le toucher, tant j’avais l’impression que la carta lucida se chargeait de reliefs, que j’y pénétrais, la main tendue, la paume arrondie, comme on cueille un fruit ou caresse un flanc. Alors je m’abandonnai à l’extase. Là, je fermai les yeux, tout entier tendu vers ces sensations que je me plaisais à rappeler, cherchant au fond de ma mémoire les fragrances presqu’oubliées, enfouies plutôt, sous la grise berlue que jette aux âmes les mieux trempées l’isolement du cachot, appelant cette remembrance presque douloureuse. Et ce fut impalpable, fugace, désespérant et inouï, brutal et déconcertant, ce fut un embrasement et une fin.
L’apogée est le point de chute : y parvenant, l’on ne peut que redescendre.
C’est ainsi que je retrouvai mes esprits épars, ramené à la triste réalité. Le catalogue maintenant refermé laissait voir, se détachant sur le fond rouge tentateur et luxuriant, le grand F un peu pâle de la Maison Fauchon.  A côté, sur la table, se devinaient quelques fragments de légumes filandreux et mal cuits nageant  dans un jus clair. Mais, tandis que j’alimentais en automate ma bouche de ce révoltant ordinaire, j’avais joui par et sur et dans ces photographies de plats, de bouteilles, de fruits, mes papilles abusées avaient transformé la sardine en saumon, en foie gras, le tronçon de carotte avait éclaté sous ma dent comme un grain de raison mûr, le cube insipide de pomme-de-terre s’était écrasé contre mon palais comme une fraise sucrée, et savoureuse, ma langue avait de toutes ses papilles apprécié en kumquat confit le tout à la fois dur et déliquescent navet...
A l’heure de cette nuit d’octobre où j’écris ces lignes, presqu’essoufflé encore de ce plaisir fugace, lorsque je feuillète le catalogue témoin et catalyseur de mes débordements, s’en échappent, tentatrices, évocatrices, et de nouveau familières, des odeurs de café, de confiture, d’alcools...


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