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Cuisine entre 4 murs
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27 octobre 2007

Sémiogustativologie

J’aime manger ; et cuisiner.
Ca me procure la même émotion que les mots.
D’ailleurs, j’aime mâcher les mots. Physiquement. Il m’arrive, en lisant, de sentir soudain un mot,un groupe de mots, ricocher dans ma bouche, des dents au palais. Ma langue fait éclater les syllabes, et, mon dieu, je mâche. Réellement. La mâchoire bouge, les dents déchirent et broient, la langue remue le mélange, toutes papilles en éveil, cherchant une saveur, retrouvant émerveillées un goût caché. Je tarde à déglutir...
Hugo, Queneau, San-Antonio : quel repas !
Et puis les mots libres, fous, qui tout à coup s’imposent ...
On les retrouve en bouche sans y avoir pensé. Ce sont les mots gourmands, tentateurs, comme la luisante religieuse sous son glaçage, qui, à travers la vitrine, crie qu’elle vous veut ; qu’on arrache incontinent à son pâtissier destin pour en faire, dans l’urgence, une part de soi par absorption, puis qu’on oublie aussi vite que s’éloigne, dans le caniveau, le petit papier plissé qui lui enveloppait le cul...
Il en est des mots comme des plats : il faut savoir.
Comme on apprécie davantage un mets quand on connait ses origines, ses composantes, ses transformations successives, sa géométrie, comme on retrouve dans une bouchée les années, les saisons, les hommes, si l’on sait les y chercher, on découvre dans le mot, dans la phrase, l’histoire de l’humanité, et l’on fait revivre ceux qui, au fil du temps, ont prononcé les mêmes syllabes, ou d’autres qui, travaillées par les accents, les emprunts, les déformations, ont abouti au mot d’aujourd’hui.
Il est ainsi des mots isolés qui sentent le conquistadore espagnol : mousquet, casaque, cacatoès ; le serf : taillis; ou le hobereau : futaie...
D’autres, par sympathie, par opposition, par le choc de leurs syllabes entre elles qui dégagent des sonorités nouvelles, éclairent des mondes. Parfois, un simple changement de mot fait basculer de la félicité à l’horreur : Front Populaire sent la fête et l’espoir ; Front National sent le bran, l’ignoble. La sémiométrie nous place au milieu des mots. Elle tranche notre personnalité suivant des axes que les mots dont nous usons déterminent. Mais elle ignore le plaisir.
Je préfère la sémiogustativologie. Et je suis au fond, persuadé, que mon embonpoint -moelleux, mais pas gras- résulte d’avantage de la pratique de cette science que de prétendus excès de table.


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