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Cuisine entre 4 murs
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7 novembre 2007

Coupe du Monde

L’un des pires souvenirs de la prison est sans conteste le football. Plus précisément la coupe du monde.
Entendons-nous bien : je n’ai rien contre le fait que d’aucuns trouvent du plaisir à cavaler en short sur des pelouses sinistrées par leur cramponesque piétinement en poussant un ballon du pied. Passe encore qu’ils se grimpent dessus en beuglant comme vache en gésine lorsque l’un deux réussit à loger cette balle dans les filets du camp adverse. Admettons que le pénible ânonnement qu’ils émettent lorsqu’un “journaliste sportif” (!) entend les accoucher (aux petits fers) de leurs émotions, soit un véritable langage articulé gouverné par un intellect dont le quotient serait supérieur au chiffre inscrit sur leur maillot.
Non, décidément, je n’ai rien contre le football. Mais les amateurs de football... les supporters... les fanés!  Des a-n-i-m-a-u-x !  Des lobotomisés frontaux qui ravalent l’homme au rang... mais non, même pas : a-t-on déjà vu des bêtes se conduire comme ça? Ils ravalent l’homme au rang de brute, de barbare. Match à la télé : les bondes sont ouvertes au crétinisme aigu, à la bêtise crasse ; des cellules montent des hurlements, cris primaux du néant neuronal. Qu’un but soit marqué, et aussitôt la coursive retentit des heurts contre les portes d’ustensiles divers et variés : casseroles, chaises, voire pieds et poings.
A la mi-temps, des faciès ravagés se pressent aux grilles, la cour résonne de discours ineptes.
Je ne supporte pas les supporters. Ces individus qui n’ont, comme disais Brassens, ni la profondeur ni la saveur du qualificatif homonyme de l’organe dont on pourrait les désigner, éveillent en moi presque l’envie de meurtre. Pas un geste vengeur, non, mais juste un geste qui ramènerait l’harmonie. Un geste calme et civilisé : la mort du con.
Mais je sais me maîtriser : zen.
Impossible de lire avec ces primates excités. Tiens,  c’est l’heure des infos. Clic ! Allons-bon : ça cause de foot !  C’est ahurissant, cette dictature : bouleversement des programmes, émissions spéciales entrecoupées de publicités axées sur... le foot !  Quand aux infos... le présentateur résume le match d’avant, présente celui d’après, nous fait assister en direct à l’entraînement des héros. Non, mieux -je l’ai vu sur FR3- à l’absence d’entraînement : plan fixe sur une pelouse vide à l’infini, en voix off, un reporter explique l’évidence, les joueurs ne sont pas là. Trois minutes d’antenne, montre en main ! Pire, mais presque comique, au 3ème -au moins- degré (et trente-sixième dessous) : un reportage sur les reporters d’autres télévisions en train de faire un reportage sur les reporters qui les filment eux-mêmes (et inversement comme aurait Pierre Dac).
Ah ! Le présentateur trouve quand même cinq minutes, sur les trente du journal, pour nous annoncer les broutilles : la préférence nationale du néo-Louis XVI, quelques milliers de morts ça et là, l’intéressante et significative indifférence de notre président (consort) au sort des dissidents chinois (faut dire que les acheteurs, ce sont les autres) et, bien sûr, les augmentations diverses que l’opium-football fait passer sans une protestation. J’ai même assisté à un acte de terrorisme en direct : sur Canal. Annie Cordy fut sommée de déclamer son amour inconditionnel du foot. On voyait bien qu’elle était obligée : avec des yeux de garenne acculé par le furet, elle affirma d’une petite voix qu’elle a-do-rait ça, et ne ratait pas un match. Le lendemain sur FR3, dans l’émission de Valérie Expert, elle affirmait le contraire : il faut dire que là, entre filles, la pression footballistique se fait plus légère (bien qu’il existe des supporters femelles : c’est encore plus ignoble).
Passons sur les désolantes déclarations du clone déteint de Gérard Philippe.
Enfin, je tombe sur une chaîne qui ose diffuser un film. Je m’anéantis dans l’intrigue, sourd au monde. Las !  A tout jamais m’échappera l’ultime réplique : la prison résonne de cris sauvages. Chose incroyable, mon verre de café traverse seul la table, par petits bonds! Explication (après un instant de flottement où ma raison vacille) : mon voisin, au paroxysme de la fureur, secoue violemment son bas-flanc en hurlant comme un possédé (je suis sûr que, si on faisait un scanner de sa boîte crânienne, on verrait, non pas un cerveau normal, mais un assemblage de cellules octogonales noires et blanches, avec de l’air à l’intérieur).
Mais je ne voudrais pas vous laisser penser que ces débordements, ce degré zéro de l’intelligence, ne s’expriment qu’en prison. Sur TF1, la télé de maçon, un spot d’auto-promo nous montre quatre personnages hilares, au rang desquels l’entraîneur d’une équipe provinciale dont la silhouette évoque tout sauf le sport, et un commentateur au rire particulier, dont on peut imaginer qu’il ressemble aux sons déchirants que tira de son bugle son homonyme à Roncevaux. L’image finale est effrayante et affligeante ; ces quatre héros, braillant, tressautant, les yeux vides, la tête itou, affichant béatement leur contentement de beauf’ sur fond de nationalisme outrancier. Et c’est censé être de la promotion !
Mais arrêtons de parler du foot. Une petite brève de comptoir, en conclusion : “bon, maintenant, j’vais aller mettre  mon survêtement pour regarder l’match !”.
Enfin... Maintenant, laissez-moi vous entretenir de ma passion : les mots. J’adore ça. J’ai des idoles, je suis un fan. Raymond Devos par exemple. Alors, je profite d’une diffusion télévisée d’un de ses sketches pour expérimenter un comportement qu’en d’autres circonstances la majorité trouve normal.
Raymond Devos est sur scène, à la tête de son équipe : les mots. Il des lance, les encourage du geste et de la voix. En voici un qui monte, il va se perdre... Non, il revient, Raymond Devos le rattrape au vol, le relance, il télescope des autres joueurs, c’est exclusion, non, l’arbitre ne siffle pas, mais... mais...  voilà que les syllabes se détachent, une diphtongue s’intercale, tandis qu’un e muet tente une échappée. Une h aspirée le récupère, le plaque à un o, les deux lettres accolées se renvoient la h qui termine sa course dans les bras de c. Le tandem chuintant remonte une phrase, c’est extraordinaire, un nouveau mot se forme sous nos yeux, le choc est incroyable, Raymond rassemble ses équipiers pour l’attaque décisive, quelques syllabes éparses sont impitoyablement écrasées, la syntaxe ne résiste pas, et ... Ca y est ! c’est le jeux de mots ! Ouaiaiaiais ! ! !
J’entame une danse sauvage dans la cellule, bouscule le mobilier, tape un rythme endiablé sur le cul de ma casserole avec une cuiller à soupe ; je crie à tue-tête, je balance ma chaise dans la porte, tambourine, m’époumone. La porte s’ouvre, le surveillant me regarde, ahuri. M’explique, en termes concis, que j’ai enfreint le règlement, et que j’aurai à en répondre. Je tente de me justifier, j’établis un parallèle entre le jeu de mots et le jeux de pieds, plaide la liberté d’expression. Rien n’y fait. Au contraire : je me retrouve sous calmants à la 4ème division, celle des agités du bocal.
Pourquoi ? Pourquoi moi, et pas eux, les abrutis du ballon rond ? Hein ? Pardon ? Ah ! parce qu’il faut les comprendre, c’est la majorité, il ne faut pas être intolérant, et puis, tout le monde aime le sport, corpore sano, tout ça... D’ailleurs, moi aussi je vais aimer ça, assure d’une voix mielleuse une manière de brute vêtue d’un maillot rayé, d’un short, et de chaussettes à crampons. Il me ligote sur la chaise, me fixe sur la tête un écarteur de paupières. Sur grand écran, juste devant moi, la retransmission de l’intégralité des matches de la coupe du monde, avec les ralentis, les prises de vues sous tous les angles, et, comble de l’horreur, la logorrhée insane de Thierry Roland. Argh! Je m’éveille, inondé d’une sueur glacée, tétanisé . Vite, j’allume la lampe : ce n’était qu’un cauchemar ! Ouf !
Je me lève, allume une cigarette, et, juste sur le tuyau de chauffage, je contemple la nuit au travers des barreaux.
Je lève la tête : la lune est ronde, faite d’octogones noirs et blancs. Je sombre dans l’inconscience. Il faudra plusieurs jours pour me persuader que cette découpe étrange de l’astre lunaire résultait du grillage appliqué sur les barreaux. La fatigue a fait le reste. Toutefois... le doute, parfois, m’étreint...

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